L’infonuagique

L’infonuagique est une tendance bien implantée dans le monde numérique depuis la dernière décennie. Cette technologie repose sur la mise en commun d’un grand nombre de serveurs en réseau pour entreposer et exploiter des données. Lisez la rubrique sur la littératie numérique tirée d’un article paru sur le Réseau art actuel.

 

 

 

 

 

L’INFONUAGIQUE

13 mars 2020

par Isabelle L’Heureux, Digital cultural development officer, Conseil québécois des arts médiatiques (CQAM), Regroupement des arts interdisciplinaires du Québec (RAIQ) et Le Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec (RCAAQ). Rubrique tirée d’un article paru le 18 février 2020 sur le portail Réseau art actuel.

L’infonuagique est une tendance bien implantée dans le monde numérique depuis la dernière décennie. Cette technologie repose sur la mise en commun d’un grand nombre de serveurs en réseau pour entreposer et exploiter des données. Elle permet à de plus petites organisations ou à des individus d’avoir accès à une grande puissance de calcul (processing power) pour un plus faible coût. En termes concrets, cela signifie que plutôt que de travailler avec des logiciels installés sur nos postes informatiques (tout est stocké sur notre ordinateur), nous avons accès à divers outils à travers des applications web (nous communiquons avec un réseau de serveurs par le biais d’internet).

Il existe toute une panoplie de services disponibles en infonuagiques. Les plus pertinents pour les centres d’artistes et autres organismes culturels sont souvent les services de stockage et de partage de l’information et les suites bureautiques. Comme nous sommes plusieurs dans le milieu à nous engager dans des démarches de transition vers l’infonuagique (plus précisément, vers les services intégrant bureautique, messagerie et gestion documentaire, tels que Gsuite et Office 365), il semble pertinent de faire le point sur cette technologie. Cette rubrique se veut ainsi une ressource utile pour comprendre ce que sont les services infonuagiques, en quoi ils peuvent être intéressants pour les centres d’artistes, et pour orienter les organismes intéressés dans le choix d’un service et son implantation au sein d’une équipe.

Les services libres et propriétaires

Un fait intéressant et peut-être peu connu est que les centres qui ont le statut d’organismes sans but lucratif ont accès à divers produits de Google et de Microsoft gratuitement ou à prix réduit à travers Techsoup Canada, un organisme qui vise à favoriser l’accès aux technologies numériques pour les OSBL. Les produits Gsuite et Office 365 sont largement adoptés au sein d’entreprises, d’institutions et d’organismes de toutes tailles. Ils représentent donc quelques avantages en ce qui a trait à la facilité d’installation et d’utilisation, aux coûts d’exploitation bas ou nuls, à l’interopérabilité avec divers systèmes et d’autres services, au travail régulier des équipes de développement, à la fiabilité du service à la clientèle et à l’ampleur de la communauté d’utilisatrices et d’utilisateurs.

Il reste que ces services sont offerts par des compagnies très puissantes dont les valeurs et modèles d’affaire sont aux antipodes de nos organisations. Il existe des logiciels libres, distribués sous forme de services infonuagiques ou de plateformes à héberger soi-même, qui s’inscrivent en alternative à ceux des géants. Ceux-ci demanderont un investissement supérieur en terme de coûts d’exploitation (lorsqu’une gestion d’espaces de serveur est nécessaire par exemple) et d’expertises nécessaires pour la mise en place. Ils peuvent néanmoins mieux correspondre à l’éthique et aux valeurs d’autogestion des centres. On compte parmi les services alternatifs de stockage Sync (service infonuagique, canadien) et parmi les suites bureautiques et autres plateformes Nextcloud (à héberger soi-même, allemand), Framasoft (services infonuagiques, français) et Wikisuite (service infonuagique ou à héberger soi-même, québécois).

Les avantages et limites des services de gestion intégrée en infonuagique

Cette liste non-exhaustive d’avantages et de limites permettra d’évaluer la pertinence d’adopter un service de gestion intégrée en infonuagique pour un centre d’artistes.

Quelques avantages :

  • allonger la durée de vie utile des ordinateurs ;
  • favoriser le travail collaboratif, au sein d’une équipe et entre organisations ;
  • assurer un meilleur accès aux documents d’une organisation pour les membres de son équipe, ce qui comprend la possibilité de gérer les accès aux dossiers sensibles ;
  • régler les problèmes de versions et de suivis de modification ;
  • faciliter le travail à distance ;
  • sauvegardes automatiques ;
  • économies possibles en temps et en argent.

Cet article du Regroupement québécois de la danse présente plus en détail les avantages listés ici.

Quelques limites :

  • dépendance à la qualité du réseau internet ;
  • technologie énergivore ;
  • systèmes propriétaires (dans le cas de Google et Microsoft) ;
  • hébergement des données à l’étranger (avec les serveurs de Google et Microsoft) ;
  • opacité quant à l’utilisation des données des organismes qui adhèrent aux services “gratuits” (noter la plus grande confidentialité du service Gsuite par rapport aux comptes Google de particuliers) ;
  • export des données laborieux.

Ressources pour planifier une transition

Dans le cadre de démarches de transition vers Gsuite au sein d’organismes de services du milieu de la culture, deux outils pour appuyer la prise de décision et la planification ont été développés par le CQAM et le RCAAQ avec l’aide de 0/1 – Hub numérique de l’Estrie.

Ces outils sont disponibles ici et peuvent être utilisés librement :

Vous pouvez aussi jeter un coup d’oeil au guide de migration en cours d’élaboration avec l’équipe du Hub 0/1. La section portant sur Office 365 est bien développée et permet d’obtenir une vue d’ensemble des étapes à travers lesquelles une organisation doit passer pour effectuer la transition vers ce service (les étapes sont sensiblement les mêmes pour Gsuite).

Des ressources d’aide sont également fournies par les compagnies elles-mêmes. Google donne accès à une documentation pertinente, claire et bien structurée ici. Microsoft offre certaines informations de démarrage dans la section “Forum aux questions” de cette page et un service de soutien une fois votre organisme inscrit auprès d’eux.

Le processus de transition vers les services de Google et de Microsoft peut être réalisé à l’intérieur de deux mois. Il demande néanmoins un engagement régulier afin d’accomplir une suite d’étapes qui peuvent s’échelonner dans une durée plus ou moins grande. Le temps nécessaire pour réaliser une transition vers un service libre doit quant à lui être estimé en fonction de la présence ou non de personnes compétentes au sein de l’organisation, de l’accès ou non à un soutien technique lors de l’installation et d’une courbe d’apprentissage plus grande.

Perspectives

Compétences

Toutes et tous peuvent considérer avoir les compétences nécessaires pour mener à bien ce type de transition. Il est important de souligner que le milieu des centres d’artistes foisonne de professionnel.le.s doué.e.s dans la gestion de projets et aptes à la recherche, à l’analyse, à la résolution de problèmes et à l’apprentissage de nouveaux outils.

Il reste que ce sont des organisations mobilisant des petites équipes de travailleuses et travailleurs culturel.le.s et de bénévoles qui accomplissent beaucoup, souvent avec peu. Il est donc normal, voire essentiel, de prendre le temps d’évaluer rigoureusement l’équation qui prend en compte la charge de travail actuelle et projetée dans le cadre de cette transition, la courbe d’apprentissage à prévoir, les ressources disponibles, les expertises (internes ou externes) et les besoins en jeu. Il peut aussi être intéressant de se tenir à l’affût de l’offre de formation sur le thème dans le milieu culturel.

Il est tout de même à préciser que l’installation de la plupart de ces produits ne demande aucune expertise en programmation ou en technologie de l’information (c’est notamment le cas des produits de Google et Microsoft). Il s’agit plutôt de suivre des instructions et de naviguer dans des interfaces somme toute assez conviviales pour créer et configurer les comptes souhaités. Ajoutons qu’une vision claire des processus de gestion documentaire en cours au sein de l’organisme sera aussi très utile (avez-vous déjà une plan de classification et un calendrier de conservation?). Une part du secret de la réussite dans ce genre d’entreprise repose finalement sur la confiance en ses capacités et l’utilisation d’un moteur de recherche ou d’un.e collègue aguerri.e pour trouver des réponses à ses questions!

Autogestion et développements futurs

Pour finir sur une note inspirante, portons un regard sur deux initiatives de centres d’artistes qui ont souhaité exercer un plus grand contrôle sur leurs informations et sur le développement d’outils adaptés à leurs réalités.

Studio XX a effectué à l’automne dernier une transition vers des plateformes collaboratives libres grâce à l’impulsion d’un comité dédié. L’équipe teste notamment Nextcloud, une plateforme de partage de fichiers et de collaboration et Mattermost, une application de messagerie instantanée alternative à Slack. Pour se lancer dans ce projet, l’organisme a réuni un ensemble de conditions idéales, soit un engagement de la part de l’équipe, du CA et des membres, la présence d’expertises pertinentes au sein de cette communauté et l’intégration du processus dans la programmation en cours au centre (Slow Tech). Il s’agit d’un cas où la cohérence entre la démarche et les valeurs du centre est évidente. Nous aurons sans doute éventuellement la chance d’échanger avec le Studio XX sur cette expérience.

Un autre cas intéressant est celui de Film Reel (Integrated Arts Management System). Il s’agit d’un système de gestion intégrée développé par la Film and Video Arts Society of Alberta et spécifiquement conçu pour les centres d’artistes en arts médiatiques. Ce système vise la prise en charge, en plusieurs modules, des processus de gestion des membres, d’inventaire et de location, de gestion de projets, de programmation d’événements et de formations, puis de compilation de rapports pour les subventionneurs. Ce système pourrait répondre à plusieurs besoins de centres d’artistes et de petits organismes du milieu. Il y a d’ailleurs une volonté de la part de l’équipe de Film Reel de poursuivre les développements du service (mises à jour, développement de nouveaux modules, traduction en français) et d’augmenter le bassin d’utilisatrices et d’utilisateurs dans un avenir rapproché.

Ceci conclut cette rubrique, qui, nous l’espérons, aura fourni des informations et ressources utiles pour les centres d’artistes qui contemplent une migration de certains de leurs processus vers le nuage. Bien que cette technologie porte un nom plutôt éthéré, elle reste tout de même bien ancré dans notre réalité matérielle et socio-politique.

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