Documentation en ligne et archives

Cette rubrique porte sur les archives et la documentation, et s’attarde plus spécifiquement à la question de leur diffusion et de leur circulation en ligne. La perspective mise de l’avant ici privilégie l’accès aux archives et à la documentation, et leur (ré)utilisation par le plus grand nombre d’intéressé.e.s possible.

 
 
 
 
 

Documentation en ligne et archives

9 avril 2020

par Isabelle L’Heureux, Digital cultural development officer, Conseil québécois des arts médiatiques (CQAM), Regroupement des arts interdisciplinaires du Québec (RAIQ) et Le Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec (RCAAQ).

Rubrique tirée des ateliers intitulés « La diffusion de la documentation en ligne et l’archive » (2019) et « Performance Documentation. Exploring digital curation and archiving. » (2018) préparés par Hélène Brousseau, bibliothécaire chez Artexte. Ces ateliers ont été commandés par l’ARCA pour le bénéfice des membres de l’Association des groupes en arts visuels francophones (AGAVF) et des membres du regroupement ad hoc des diffuseurs en art performance avec le soutien du Fonds stratégie numérique du Conseil des arts du Canada.

Cette rubrique porte sur les archives et la documentation, et s’attarde plus spécifiquement à la question de leur diffusion et de leur circulation en ligne. La perspective mise de l’avant ici privilégie l’accès aux archives et à la documentation, et leur (ré)utilisation par le plus grand nombre d’intéressé.e.s possible. Cette manière de penser n’a pas toujours été prévalente dans l’histoire de l’archivistique. Certains défendaient et défendent toujours une position de protection matérielle des archives par la limitation de leur accès. Aujourd’hui, compte tenu du fait que la grande majorité des documents qui sont créés sont nativement numériques, le dilemme entre accès et préservation, qui avait jadis une certaine pertinence, n’a souvent plus lieu d’être. Le fait qu’une page web soit consultée 3 ou 300 000 fois n’aura aucune incidence sur son intégrité physique et sa lisibilité! Nous vivons donc un moment particulièrement favorable à une plus grande ouverture, et même à une circulation des archives et des documents des centres d’artistes.

Pourquoi documenter et archiver?

Les archives sont définies, dans la Loi sur les archives (RLRQ, chapitre A-21.1, a. 2), comme étant l’« ensemble des documents, quelle que soit leur date ou leur nature, produits ou reçus par une personne ou un organisme pour ses besoins ou l’exercice de ses activités et conservés pour leur valeur d’information générale ». Le terme de documentation est quant à lui plus englobant : il comprend les documents qui ne sont pas nécessairement produits ou reçus par la personne ou l’organisme. On peut par exemple penser aux publications portant sur la personne ou l’organisme (article, revue, livre, journal, encyclopédie, etc.) et produites par un tiers.

Comme mentionné en introduction, nos archives et autres documents sont de plus en plus intégrés à des environnements numériques, que nous parlions de documents nativement numériques, numérisés pour en favoriser l’accès et la préservation, ou tout simplement répertoriés dans un index numérique. Ces ensembles de documents peuvent être conservés par les individus et organisations qui les ont produits, ou encore par des organisations nationales qui se consacrent à cette mission précise, telles qu’Artexte pour le milieu des arts actuels canadiens ou Bibliothèque et Archives Canada. L’intérêt de la conservation des archives réside notamment dans la valeur de témoignage de ces dernières. Afin de profiter et de faire profiter pleinement de cette valeur, les archives doivent être visibles/vues et utilisables/utilisées. Elles permettent aux créatrices et créateurs de conserver des traces de leur démarche et de leurs réalisations. Elles peuvent être mises de l’avant par des artistes et des organisations dans l’idée de faire la promotion d’événements passés. Elles sont en outre indispensables en tant que sources primaires dans les travaux des chercheuses et chercheurs.

Pour les centres d’artistes autogérés, les archives sont une porte d’accès à la mémoire de chaque organisation, mais aussi à l’histoire de tout un mouvement culturel particulier au Canada. La préservation de ces traces participe ainsi à la valorisation et la création de nouvelles connaissances sur l’art actuel. Elle constitue la base documentaire à partir de laquelle il devient possible de réaffirmer l’importance historique et actuelle des centres d’artistes dans la structuration du milieu des arts indépendants. Enfin, elle permet également une perspective informée sur cette structuration afin d’en faciliter la réévaluation ponctuelle, en vue de faire face aux enjeux toujours renouvelés de la création artistique, à travers les différents contextes socio/techno/politiques.

Qu’archivons-nous? Que documentons-nous?

Les archives et la documentation du milieu des arts actuels se retrouvent auprès des divers actrices et acteurs de l’écosystème : artistes, centres d’artistes, subventionneurs, organismes, publics, universités, chercheuses et chercheurs, maisons d’édition, médias.

La documentation d’une pratique, d’une œuvre ou d’un événement peut quant à elle comprendre une grande variété de documents : textes, esquisses, scénarios, images, vidéos, photographies, enregistrements audio, affiches, brochures, entrevues avec artistes et publics, critiques, couverture médiatique, etc.

Archiver le web

Les centres d’artistes qui souhaitent conserver une trace de leur site web peuvent le faire simplement avec Webrecorder, un outil permettant un archivage dynamique des pages web. Ce programme en code ouvert est un projet de Rhizome, organisation new-yorkaise qui se consacre à l’art numérique. Artexte a organisé un webinaire sur l’utilisation de webrecorder.io, que vous pouvez consulter en ligne.

Enjeux légaux de la diffusion en ligne

Droit d’auteur

Les activités de documentation et de diffusion des centres d’artistes doivent prendre en compte le droit d’auteur canadien. L’artiste a le droit de documenter son travail, de donner ou non son consentement à la documentation de son travail et de faire des copies de cette documentation. Les diffuseurs, quant à eux, ont la responsabilité d’obtenir le consentement de l’artiste pour toute forme de documentation et, si de nouvelles utilisations de la documentation n’apparaissent pas dans le contrat initial, d’obtenir le consentement pour une nouvelle utilisation de la documentation. La documentation d’une œuvre reste la propriété de l’artiste. Depuis 2012 toutefois, la loi canadienne sur le droit d’auteur a été modifiée pour accorder la propriété de son travail au photographe plutôt qu’à l’entité la commandant contre paiement. Cela signifie qu’à moins d’avoir un contrat spécifique avec les photographes ou vidéographes responsables de la documentation d’une exposition par exemple, le centre d’artistes dispose d’une licence limitée pour utiliser les images produites. Il est donc important d’assurer la cohérence entre les contrats des artistes et ceux des photographes engagés pour documenter les oeuvres. Si l’artiste conserve les droits de la documentation de son oeuvre, cette clause doit être négociée avec le photographe (voire le contrat type du RAAV sur la commande de photographies d’une oeuvre et l’exercice des droits d’auteur réciproques pour bien saisir ce point). Il en va de même pour la documentation textuelle. Il est nécessaire de discuter et de négocier avec l’autrice ou l’auteur l’ensemble des usages prévus pour sa publication avant de la diffuser en ligne.

Contrats et ententes

Les contrats entre créatrices, créateurs et diffuseurs peuvent comprendre des clauses concernant la documentation des œuvres. Ces clauses précisent si les droits sont exclusifs ou non, transférables ou non, et indiquent la durée du terme et les utilisations autorisées. La déclaration du droit d’auteur permet également d’expliciter à qui appartient la documentation, afin de prévoir si l’obtention d’une licence pour les utilisations envisagées sera nécessaire.

Licences libres

Dans certains cas, des créatrices et créateurs (agissant dans les domaines de la recherche, de l’art et du travail culturel) font le choix d’attribuer des licences libres, telles que les licences Creative Commons, aux contenus qu’ils rendent disponibles. Ces licences précisent le type d’usages autorisés pour les contenus concernés et en facilitent le partage et la plus grande circulation, le tout dans le respect du droit d’auteur. Il est à noter que libre ne signifie pas gratuit. Il est possible de donner accès à un contenu sous licence libre moyennant un paiement. Un exemple courant est celui d’une publication qui serait sous licence Creative Commons et accessible gratuitement (ou non) en ligne en format PDF ou HTML, et dont une version imprimée serait vendue en librairie. Afin d’appliquer ces licences à des contenus produits par les centres d’artistes (appels à projets, documentation d’un événement, mémoire, etc.), il est nécessaire de discuter au préalable avec les différents collaborateurs et collaboratrices (auteurs, artistes, photographes, etc.) et d’intégrer ces informations dans leurs contrats. Le texte “Le droit d’auteur comme pratique s’inscrivant dans le quotidien des artistes et éditeurs en art” par Felicity Tayler illustre bien ce point.

Circulation en ligne

Lorsque les questions légales sont bien considérées, le spectre des possibles en matière de diffusion en ligne est assez vaste. On peut penser à une mise à disposition de documents sur les sites web des centres d’artistes, sur les réseaux sociaux, dans les dépôts numériques comme e-artexte et sur les plateformes comme Wikimedia Commons et Internet Archive. Les initiatives Matricules, de Studio XX, Décades, d’Optica (dont un fonds d’archives est aussi préservé à l’Université Concordia) et Activating the Archive, de Grunt Gallery, sont de très beaux exemples de mise en valeur des archives et documents.

 

Nous recommandons aux organisations qui souhaiteraient explorer ces possibilités de commencer par évaluer et sélectionner la documentation qu’elles désirent rendre disponible. Ces quelques questions peuvent guider le processus :

  • Quels sont les besoins de l’organisme qui diffuse? S’agit-il de rendre visible une histoire sous-représentée, de célébrer un anniversaire, de faire circuler les idées générées au sein de l’organisation, etc.
  • Quels sont les moyens dont il dispose? La mise en ligne implique le travail de ressources humaines au sein de l’équipe et demande parfois le soutien d’expertises externes (légales, techniques). Il faut également prévoir des coûts pour l’hébergement web ou l’abonnement à des services ou des espaces de stockage.
  • Comment pourra-t-on accéder à cette documentation? Sera-t-elle indexée et/ou catégorisée sur un site web, décrite avec un ensemble de métadonnées approprié? Pourra-t-on faire une recherche parmi l’ensemble des documents mis à disposition? Fera-t-on la promotion de cette mise en ligne sur son site web, les réseaux sociaux, les médias locaux?
  • Qui la consultera?

Libre accès, dépôts numériques et circulation

Dans le secteur de la recherche, le mouvement du libre accès nous offre une perspective intéressante sur la question de la circulation des idées. Le libre accès vise la mise en ligne gratuite des résultats des travaux de recherche financés par les fonds publics afin que ceux-ci soient accessibles à tous, dans le respect du droit d’auteur. Le concept peut trouver une application similaire dans le milieu de l’art actuel et des centres d’artistes autogérés. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’est pensé le dépôt numérique e-artexte. Les déposants d’e-artexte sont des artistes et des organismes qui souhaitent archiver leur documentation et la rendre accessible tout en demeurant titulaires des droits d’auteurs qui y sont associés. Ils sont encouragés à attribuer une licence Creative Commons à leurs documents afin d’en préciser les usages permis. Les avantages de ce type de dépôt en libre accès sont nombreux. La visibilité et l’accessibilité des documents sont favorisées, car ces derniers sont indexés dans un catalogue et contextualisés au sein de ce dépôt spécialisé en art actuel. Leur description à l’aide de métadonnées standardisées est quant à elle très pratique pour la recherche et pour la découverte. Enfin, le fait qu’une équipe de bibliothécaires spécialisé.e.s veille à la préservation des documents déposés et au respect des standards d’archivage en contexte numérique est également un atout non négligeable.

L’idée derrière le libre accès est finalement de favoriser une plus grande circulation des perspectives et des connaissances en rendant possibles la consultation des contenus et les diverses formes d’utilisation que sont la lecture, le téléchargement, la citation, le partage, la transformation et le réemploi. Cette circulation assurée par la réduction des barrières à l’accès, que celles-ci soient géographiques, légales ou technologiques (ou sanitaires!), peut également avoir des répercussions positives sur le rayonnement d’un milieu à l’échelle internationale. Il s’agit donc d’un concept pertinent à garder en tête lors de la mise en ligne d’archives et de documentation, que ce soit sur son propre site web ou dans un dépôt numérique.

Pour conclure, la diffusion des archives et de la documentation d’un centre d’artistes alimente tout un cycle de création et de réflexion, et favorise par le fait même une multiplication des connexions possibles entre les contenus. Pour illustrer cette idée avec un parcours fictif, imaginons : un ensemble de brochures d’expositions organisées par un centre d’artistes se trouve analysé dans une thèse de doctorat, qui est accessible dans le dépôt institutionnel de l’université et éventuellement publiée chez un éditeur, puis utilisée comme source pour étayer un article portant sur le centre dans l’Encyclopédie Wikipédia, article qui aura un effet favorable sur la représentation du centre dans les moteurs de recherche, etc. Il s’agit là d’une image tracée grossièrement, mais qui nous permet d’envisager les mouvements et évolutions potentiels de nos archives et documents si ceux-ci sont visibles, accessibles et libres de circuler sur Internet. Si le tout reste encapsulé dans un dossier perdu au fond d’une arborescence numérique locale sur un ordinateur vieillissant au bureau, aucun de ces mouvements ne sera possible.

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L’infonuagique

L’infonuagique est une tendance bien implantée dans le monde numérique depuis la dernière décennie. Cette technologie repose sur la mise en commun d’un grand nombre de serveurs en réseau pour entreposer et exploiter des données. Lisez la rubrique sur la littératie numérique tirée d’un article paru sur le Réseau art actuel. > Lire la rubrique précédente