Reconfigurations numériques

Reconfigurations numériques–Pour cette dernière microbouchée de littératie numérique, nous avions envisagé de contempler nos possibles avenirs numériques en abordant certains grands enjeux, tels que l’écologie, la cybersécurité et l’autonomie. Toutefois, en ces temps exceptionnels, nous privilégierons une approche plus pratique, sous le thème des reconfigurations.

 

 

Reconfigurations numériques

Diffusion, médiation et production

Par Isabelle L’Heureux

 

Pour cette dernière microbouchée de littératie numérique, nous avions envisagé de contempler nos possibles avenirs numériques en abordant certains grands enjeux, tels que l’écologie, la cybersécurité et l’autonomie. Toutefois, en ces temps exceptionnels, nous privilégierons une approche plus pratique, sous le thème des reconfigurations.

La fermeture de tous les lieux publics et les mesures de confinement adoptées en réponse à la pandémie ont bouleversé chaque sphère de la vie sociale et, plus précisément dans notre milieu, les modes de création, de diffusion et de réception de l’art. Nous proposons alors de dessiner ici une cartographie des pistes qui peuvent être explorées par les centres d’artistes qui souhaiteraient reconfigurer leurs activités pour s’adapter à ce contexte particulier.

Il va sans dire que ces reconfigurations doivent avoir un lien pertinent avec le mandat et les activités des centres, et convenir aux membres et aux publics concernés. Tous n’ont pas nécessairement les infrastructures technologiques, les compétences et les moyens requis pour procéder à des reconfigurations majeures. Cependant, certaines actions ou migrations peuvent s’avérer toutes simples. Il s’agit toujours de définir justement les besoins et de déterminer les ressources disponibles pour mettre en place une initiative qui soit cohérente avec la programmation, sans imposer une pression supplémentaire aux personnes impliquées dans les activités des centres d’artistes. Pour explorer davantage la question de l’engagement des publics, nous vous invitons à consulter les résultats de la recherche Pratiques culturelles numériques et plateformes participatives : opportunités, défis et enjeux (2018).

 

Les activités

Diffusion

Les activités de diffusion peuvent prendre toutes sortes de formes dans les espaces numériques. Nous avons étudié la question de la diffusion en ligne de la documentation et des archives des centres d’artistes dans la rubrique précédente. Le bouleversement imprévu de la programmation des centres peut ouvrir une porte dans ce sens. L’annulation d’expositions et autres activités de diffusion aura peut-être libéré du temps pour les équipes des centres et pourrait permettre le réaménagement de certaines ressources.

Par exemple, plusieurs centres ont misé sur la diffusion de la documentation qui avait été produite autour d’une exposition en galerie malheureusement annulée, pour en déplacer l’accessibilité dans le cyberespace. Cette reconfiguration des activités de diffusion sous forme de balados, de textes, de photographies, de visites filmées et même d’expositions virtuelles est une façon de donner accès aux œuvres et aux pratiques artistiques qui devaient initialement être célébrées en galerie. Les artistes ne perdent ainsi pas toute la visibilité que leur aurait apportée l’exposition en question. D’autres centres ont aussi opté pour la mise en valeur d’archives et autres documents en partageant des profils d’artistes membres et en revisitant des activités passées, notamment par la mise à disposition de corpus documentaires thématiques sur un site web ou encore par la programmation de publications sur les réseaux sociaux et dans les infolettres. Certains ont même souhaité se lancer dans la création de contenus originaux, adaptés au contexte actuel. Différentes initiatives visent par exemple à récolter des témoignages d’artistes et de travailleuses et travailleurs culturel.le.s, à proposer des visites de studio virtuelles, à réaliser des entrevues ou des projets de cocréation à distance, etc. Dans tous les cas, CARFAC et le RAAV proposent à ce sujet un ensemble de bonnes pratiques pour rémunérer les artistes pendant la crise de la COVID-19. Pour toute reproduction d’œuvre en ligne, il est recommandé de se référer au barème des redevances concernant les reproductions – non commerciales, non publicitaires 2020.

La question de la médiation de l’expérience esthétique lors de transpositions vers des espaces numériques reste, quant à elle, un enjeu ouvert à différentes explorations et réflexions. Il est d’abord utile de souligner que toute œuvre ne se prête pas nécessairement bien à une traduction numérique. Il serait mal avisé d’insister pour bricoler une version numérique d’une œuvre si cette démarche est contraire à l’intention artistique initiale. Cela dit, le réseau des centres d’artistes autogérés s’est en quelque sorte construit sur la volonté de repenser une conception institutionnelle de l’esthétique en organisant de nouveaux modes de production, de réception et de critique des arts. Nous pouvons donc faire l’hypothèse que les organisations, les artistes et les travailleuses et travailleurs culturel.le.s qui composent ce réseau sont le plus souvent disposé.e.s à l’expérimentation/la recherche-création et qu’elles et ils sauront formuler des propositions extrêmement pertinentes en lien avec les reconfigurations possibles de certaines expériences esthétiques en contexte de distanciation sociale.

La reconfiguration des activités de diffusion dans l’espace numérique en fonction des ressources disponibles assure une forme de dynamisme au sein de sa communauté. Qu’il s’agisse d’attirer l’attention sur du contenu existant, de rendre visible/audible une œuvre qui devait être exposée en galerie ou encore de créer quelque chose de nouveau, chaque action, peu importe son envergure, contribue au rayonnement de nos membres et de notre milieu. Nous vous invitons d’ailleurs à lire ou à relire la rubrique portant sur les leviers de la découvrabilité si vous souhaitez travailler la visibilité de ces initiatives auprès de vos publics. Notons également qu’il peut être intéressant pour les regroupements régionaux de centres d’artistes autogérés (ou tout autre groupe à vocation similaire) de prendre part à l’effort de promotion des activités de leurs membres. Cela peut impliquer de relayer des informations sur les réseaux sociaux ou encore de réserver une section de son site web à l’actualité de ses membres. Si la question de l’agrégation automatique des nouveaux contenus publiés sur les sites web des centres vous intéresse, nous vous recommandons d’essayer PressForward, une extension gratuite pour WordPress permettant l’agrégation et l’édition de flux RSS.

Médiation

Plusieurs centres d’artistes complémentent leurs activités de diffusion par des activités de médiation culturelle, dont l’objectif est de faire se rencontrer publics, objets et savoirs culturels. Dans le contexte actuel et avant même la pandémie, Marilyn Farley et Marie-Laure Robitaille ont remarqué un changement de discours quand certains organismes parlent de médiation numérique plutôt que de médiation culturelle (lire leur texte intitulé La médiation culturelle en confinement : entre distance et connexion). Ce glissement du social (la relation dans la médiation culturelle) au technique (le dispositif de la médiation numérique) est mis en lumière afin que soit bien comprise la distinction entre le simple acte de diffuser un contenu en ligne et celui de donner envie aux publics d’entrer en relation avec ce contenu. Pour les autrices, la réconciliation des deux concepts dans le cadre d’une médiation culturelle numérique efficace doit favoriser des interactions qui s’inscrivent dans la durée et permettent un partage entre toutes les parties prenantes. Le site web du Centre de recherche et d’innovation en art et engagement social Artenso réunit un bel ensemble de ressources sur le thème de la médiation culturelle numérique, qui sauront guider les intéressé.e.s dans la recherche de cet équilibre entre relation de médiation et dispositif technique. En mai et juin 2020, Artenso tiendra par ailleurs des midis-démos, lors desquels des invité.e.s présenteront des initiatives et des dispositifs de médiation culturelle numérique, afin de soutenir le milieu dans la reconfiguration de ses activités.

Plusieurs organismes se tournent vers différents dispositifs de vidéoconférence pour maintenir des activités de médiation telles que des conférences, des causeries, des rencontres, et même certains ateliers et formations qui se prêtent bien à la formule virtuelle. Les bonnes pratiques à retenir dans ce type d’activité virtuelle sont de réviser la durée de l’événement (il est conseillé de ne pas dépasser 90 minutes pour une séance de vidéoconférence), de multiplier les interactions avec les participant.e.s afin de garder un bon niveau d’attention et d’engagement et de bien expliquer aux participant.e.s les fonctions de l’outil utilisé (comment activer et désactiver le micro et la caméra, clavarder, etc.). Ce type de reconfiguration peut se faire à coût presque nul. Il existe des dispositifs de vidéoconférence en ligne gratuits ou peu coûteux. Il s’agit donc avant tout d’un investissement de temps pour planifier et coordonner le changement de cap (obtenir l’accord des intervenant.e.s et confirmer leur participation, choisir le dispositif, communiquer la nouvelle formule) et pour adapter l’activité à un environnement virtuel (rescénariser au besoin).

Production

La reconfiguration des activités de production des centres d’artistes présente aussi son lot de défis et ne sera quant à elle pas toujours possible. La fréquentation des ateliers et studios et le prêt d’équipement ne peuvent être virtualisés dans la plupart des cas! Le prêt de licences d’utilisation de logiciels et applications, toutefois, est techniquement possible. Il s’agit d’une avenue qu’explorent certains centres de production. Quelques communautés d’artistes sont aussi susceptibles d’avoir accès à une partie ou à la totalité du matériel nécessaire à leur pratique dans un lieu de travail personnel. Ce peut être le cas de certains artistes en art visuel, audio, numérique, médiatique, de performance, etc. Dans ces cas, il peut alors être envisageable de proposer un service de soutien à la production à distance, par vidéoconférence ou par téléphone, selon la disponibilité des technicien.ne.s des centres. Pour ces communautés, les initiatives de résidences virtuelles/à domicile et d’appels à projets divers peuvent être accueillies favorablement. Elles permettent le maintien et l’appui des activités de production et la distribution de bourses et de cachets à des artistes qui sont en position de travailler (voir notamment le programme de microsubventions pour la création de contenus numériques Connexion création du Conseil des arts du Canada). Il est également possible de planifier ou de réorganiser des formations et ateliers en mode virtuel, notamment par la vidéoconférence, comme mentionné plus haut.

Les outils

Au fil des paragraphes précédents, quelques dispositifs de base ont été évoqués. Nous détaillons ici plus concrètement les services et outils qui forment une trousse accessible pour la reconfiguration numérique des activités de diffusion, de médiation et de production.

 

Ordinateur + connexion internet

Si les équipes des centres n’ont pas accès à un ordinateur, toute forme de travail à distance qui exige la communication et la coordination avec d’autres sera très difficile. Cela relève de l’évidence. La base de tout travail de reconfiguration numérique de nos activités repose sur l’accès à un ordinateur et à une connexion internet. Ces infrastructures et ce matériel ne devraient cependant pas être tenus pour acquis. En effet, l’accès à du financement pour mettre à jour les parcs d’équipement informatique au sein des centres d’artistes est un enjeu dont l’importance est mise en relief dans le contexte actuel.

Site web

Le site web d’un centre est une vitrine sur ses activités, celles de ses membres et celles de son équipe. Il s’agit d’un espace qui gagne à être exploité et repensé à la lumière des besoins et aspirations actuels. On pourrait entre autres envisager de remettre de l’avant des archives enfouies aux confins de sous-menus oubliés, animer une section blogue avec de courts textes, des images ou des trames audio, ou encore, tout simplement faire la promotion des initiatives de reconfiguration en cours.

Réseaux sociaux

Les réseaux sociaux peuvent également servir la diffusion, la valorisation de contenus et la promotion des événements, appels et autres activités développées par le milieu. Ils jouent aussi le rôle de lieux d’échanges et d’entraide dans le contexte actuel (voir notamment le groupe de soutien Centres d’artistes et diffuseurs en arts visuels sur Facebook).

Vidéoconférence

Les services de vidéoconférence sont utiles pour la tenue de réunions, d’activités de médiation (conférences, causeries) et de formations, et aussi pour fournir un soutien technique à la production. Les services les plus connus et utilisés sont sans doute Zoom et Webex. Ces services commerciaux sont offerts avec des comptes gratuits ou payants, et les conditions d’utilisation varient en fonction du forfait choisi. Ils proposent de nombreuses fonctions telles que le partage d’écran, l’annotation d’écrans partagés, la discussion en sous-groupes, le clavardage, l’enregistrement de la réunion, etc. Il s’agit en théorie de services cryptés, bien que le niveau de sécurité de Zoom soit remis en question depuis les dernières semaines, surtout par les gouvernements, organismes internationaux et entreprises privées devant s’assurer de l’étanchéité et de la confidentialité de leurs échanges. Pour une autre option anonyme, gratuite et avec code source libre, voir Jitsi Meet (en anglais).

Diffusion en direct

Les services de diffusion en direct peuvent être utilisés pour la diffusion de conférences, performances, visites virtuelles, etc. Ce service peut d’ailleurs être combiné à un service de vidéoconférence (p. ex., une discussion sur Zoom pourrait être diffusée en direct sur Facebook). Il existe plusieurs fournisseurs pour ce type de service, dont les plus connus sont Vimeo, Facebook, YouTube, Instagram et Twitch.

Autres expériences immersives

Pour les plus audacieuses et audacieux, le cyberespace regorge d’avenues à explorer et à « défricher ». Depuis des années déjà, le groupe de recherche AbTeC a son quartier général et organise de nombreuses activités (en anglais) dans l’univers virtuel Second Life. La communauté Québec/Canada XR propose quant à elle une liste de solutions de rechange en réalité virtuelle ou augmentée pour les rassemblements du milieu culturel (notons l’invitation du Museum of Other Realities [en anglais] à héberger des événements dans ses espaces virtuels).

En conclusion, nous laissons le soin à chaque centre d’évaluer les priorités, les besoins et les ressources disponibles pour adopter une position qui soit pertinente, peu importe où celle-ci se situe dans le spectre du ralentissement et de la proactivité. Il reste primordial de tenir compte de la santé, du bien-être et de la disponibilité des parties prenantes dans le cadre de reconfigurations numériques de nos activités.

 

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Documentation et archives en lignes

Cette rubrique porte sur les archives et la documentation, et s’attarde plus spécifiquement à la question de leur diffusion et de leur circulation en ligne. La perspective mise de l’avant ici privilégie l’accès aux archives et à la documentation, et leur (ré)utilisation par le plus grand nombre d’intéressé.e.s possible. > Lire la rubrique précédente